La "lampe à huile" contre le "porno dans l'ascenseur". Les petites phrases volent bas dans l'empoignade qui se noue depuis quelques semaines autour de la 5G. Pas vraiment de quoi éclairer un débat aux multiples facettes, dont les enjeux déjà complexes sont de moins en moins lisibles à mesure que le politique s'en empare. Pris sous ces feux croisés, le réseau mobile de 5e génération risque de s'embourber dans une guerre de tranchées.
La 5G, coupable idéal ?
L'irruption de la 5G dans l'agenda politique ne doit rien au hasard. Fort de leur position de force à l'issue des municipales, élus verts et plus largement de gauche ont fait de cette nouvelle technologie l'emblème du modèle de société qu'ils entendent combattre. Pour ne pas dire un épouvantail, leur permettant de faire fructifier leur succès électoral en continuant à occuper le terrain politique et médiatique. Et aussi de serrer les rangs face à l'exécutif, puisque le sujet a la particularité de concerner en priorité les grandes villes, dont plusieurs, et non des moindres, sont désormais tenues par ces nouveaux édiles.
Les maires de Marseille, Lyon, Bordeaux, Strasbourg figurent ainsi parmi les quelque 70 signataires d'une tribune publiée ce week-end par le JDD, réclamant un moratoire sur le déploiement de la 5G "jusqu'à l'été 2021 au moins". Ainsi que le choix du "mode d'accès à Internet et la maîtrise du développement des réseaux numériques" sur leur territoire.
S'interroger sur l'impact environnemental des usages numériques et sur le projet de société que ces derniers sous-tendent est légitime. Faire de la 5G le véhicule de ces inquiétudes l'est beaucoup moins. Rappelons qu'il s'agit là avant tout d'une évolution de la manière d'exploiter le spectre, plus efficacement sur le plan technique et énergétique. Elle nécessitera certes de renouveler des équipements, ce qui ne sera pas neutre environnementalement - la question de la mutualisation des réseaux entre opérateurs se pose d'ailleurs à cet égard.
Mais sur le fond, l'arbitrage n'est pas différent de celui des consommateurs lorsqu'il s'agit de remplacer un équipement électroménager antédiluvien devenu un gouffre énergétique. Quant aux terminaux des usagers, il serait bon de ne pas laisser entendre que la 5G nécessitera le remplacement de "milliards de smartphones" qui seront toujours utilisables en 4G. Pas plus vite, en tout cas, que le parc ne se renouvelle aujourd'hui.
Projet de société
Tout comme il serait bienvenu de ne pas réduire les futurs usages de la 5G aux exemples les plus triviaux comme la "brosse à dents connectée". Un gadget brandi par Julien Bayou, secrétaire national EELV, lors d'un débat sur France Info face à Cédric O, secrétaire d'Etat au Numérique. Et qui voudrait faire oublier l'ensemble des applications industrielles, médicales, de mobilité ou encore au service des collectivités, susceptibles de rendre plus vertueuses l'économie comme les services publics. Les perspectives ouvertes par cette nouvelle technologie méritent mieux que ce type de caricature.
Ce qui ne revient pas à céder béatement au solutionnisme technologique consistant à penser que le réseau mobile de 5e génération aura réponse à tout. Ni à balayer d'un revers de main les interrogations relatives à l'hyperconnectivité, l'hyperconsommation ou encore l'absorption et l'utilisation des données personnelles par les géants que l'on connaît. Questionner la soutenabilité des pratiques numériques peut se faire plus subtilement. Mais mérite mieux, aussi, que les railleries entendues notamment du coté de l'Elysée cette semaine. Surtout après la solennité avec laquelle avaient été reçues les conclusions de la convention citoyenne - au demeurant défavorables à la 5G.
Dans ce contexte polarisé, les avis médians peuvent-ils à se rendre audible ? "Nous pensons qu'il faut lancer la 5G mais aussi inventer de nouveaux garde-fous pour répondre aux inquiétudes. (...) C'est la position la plus neutre entre les tenants du laisser-faire et ceux qui appellent à un moratoire" a précisé hier son président Sébastien Soriano sur Radio Classique. Approche à laquelle fait écho celle du groupe parlementaire Ecologie Démocratie Solidarité. Les ex-Marcheurs jouent leur carte dans le débat en proposant de "conditionner le déploiement de la 5G à l’étude d’une loi sur la sobriété numérique".
L'initiative ouvrirait certes la voie à une manière de "débat démocratique" réclamé par les signataires de la fameuse tribune... Mais sans moratoire, auquel le gouvernement et le Président ont d'ores et déjà opposé une fin de non-recevoir. Ces derniers n'entendent pas accumuler plus de retard sur cette technologie perçue comme stratégique, alors qu'elle est investie depuis un, voire deux ans par de nombreux pays industrialisés. A cet égard, l'exécutif n'est d'ailleurs pas exempt de reproches, si l'on se souvient de l'interminable élaboration du cahier des charges d'attribution des fréquences, visant à maximiser les recettes issues de leur cession aux opérateurs.
Moratoire illusoire ?
Si l'on parvient à débattre - sereinement et de manière éclairée - de ces aspects, à quoi servirait un moratoire ? Son horizon, mi-2021, se cale sur la publication attendue, peu avant, d'un rapport de l'Anses. Lequel ne permettra pas de trancher la question. C'est le patron de l'Agence nationale de sécurité sanitaire lui même qui l'affirme : "On ne pourra jamais démontrer qu'il n'y a pas de risque avec la 5G", témoignait Olivier Merckel lors d'une table ronde au Sénat en juillet dernier. Tout en rappelant que les études menées sur les générations précédentes (2G, 3G, 4G) n'ont jamais mis en évidence un quelconque impact sanitaire.
Le gouvernement y est aussi allé de son étude, tout comme l'Agence nationale des Fréquences (ANFR). Tout se veulent rassurantes s'agissant des émissions dans la bande de fréquence des 3,5 Ghz, celle dans laquelle sera d'abord déployée la 5G à l'issue des enchères de l'automne. Une portion de spectre guère éloignée de la plus haute utilisée pour la 4G (2,6 Ghz), et qui, rappelons-le, est utilisée depuis des années par les réseaux radio ruraux pour fournir une connexion Internet aux foyers et entreprises en zone blanche.
Opérateurs sous surveillance
Selon toute vraisemblance, Orange, SFR, Bouygues et Free pourront donc commencer à déployer leur réseau 5G fin 2020 ou début 2021 dans les principales métropoles. Ils seront certes susceptibles de délivrer des débits plus élevés que la 4G. Aspect presque anecdotique au regard du véritable intérêt de la technologie pour le grand public à moyen terme : désengorger les réseaux 4G, qui risquent la saturation d'ici deux ans dans les zones les plus denses, font valoir les opérateurs. Le quatuor sera en outre surveillés de près : le Conseil national de la consommation a annoncé son intention de contrôler les campagnes promotionnelles des opérateurs qui seraient tenté de promettre plus que ce que leur 5G pourra fournir à ses débuts.
Histoire de ne pas brouiller plus encore le signal de cette technologie mal comprise et mal expliquée, soupçonnée a priori d'espionnage et de gabegie environnementale et désormais accusée de passage en force. Déjà empêtrée dans le jeu politique avant même d'être lancée, la 5G n'aura guère le luxe de se mettre à dos, en plus, les consommateurs.