Accueilli comme de coutume par la ville de Deauville et la Communauté de communes Cœur Côte Fleurie et produit par Mon Territoire Numérique, le rendez-vous annuel des réseaux d'initiative publique (RIP) s'est tenue à Deauville le 15 mars dernier. Ces 7e Etats généraux ont permis de prendre le pouls du déploiement de la fibre en zone rurale et sur l'ensemble du territoire, mais aussi d'en savoir plus sur certains éléments clés pour faire avancer le plan France THD.
Accélération nécessaire
L’occasion, donc, de dresser un bilan de l'avancée de la fibre optique sur l’ensemble du territoire et d’en envisager les perspectives. Equation résumée par Guillaume Mellier, directeur fibre, infrastructures et territoires de l’Arcep : un peu plus de 10 millions de lignes ont été construites en 10 ans, et autant devront l’être lors des trois prochaines années. Un objectif qui cadre peu ou prou avec la prévision 2018 de l’Agence du Numérique, laquelle table sur 3 millions de prises cette année (contre 2,6 millions en 2017).
De son côté, Hervé Rasclard, délégué général de la Fédération des industriels des RIP, livre une perspective différente, avec une arithmétique tenant compte de 10 millions de prises à raccorder en 5 ans en zone publique. Il en conclut que « l’écosystème doit se mettre en ordre de marche pour construire 5 millions de prises dès cette année ».
Pour matérialiser l’accélération nécessaire, l’Arcep a fourni un graphique résumant le reste à faire par zone. Avec une attention particulière pour la zone moins dense d’initiative privée, où les déploiements ont accéléré ces derniers mois, mais à un rythme insuffisant en l’état pour tenir l’engagement du 100% fibre d’ici 2020.
Au passage, le représentant du régulateur annonçait également la publication d’un observatoire cartographique des technologies et débits disponibles à la maille du bâtiment « d’ici à la fin de l’année ».
Le guichet France THD en pause
La plupart des réseaux d’initiative publique sont signés, les déploiements engagés et parfois bien avancés dans certains cas. La question financière inquiète pourtant : la suspension en décembre du guichet de la mission France THD n’a pas envoyé, à cet égard un signal rassurant. Pas de panique, a assuré Antoine Darodes : à présent que l’enveloppe dédiée de 3,3 milliards d'euros est épuisée, l’Agence du Numérique qu'il dirige n’entend simplement pas formuler d’engagement supplémentaire sans moyens.
Mais il s’agit aussi, ajoute-t-il, d’avoir une « meilleure vision du reste à faire » et de tenir compte des « évolutions des conditions de marché ». On comprend entre les lignes que les éventuels financements complémentaires tiendront compte des investissements privés mobilisés à travers les Appels à manifestation d’engagement locaux (AMEL), dont les résultats seront connus à l’été. C’est également le sens de la réponse adressée mardi au Sénat par Mounir Mahjoubi, secrétaire d’Etat au numérique, sollicité par Patrick Chaize sur la réouverture du guichet.
Jusqu’à 3 millions de prises fibre en AMEL
Ces AMEL pourraient porter sur 1 à 3 millions de prises, a estimé Antoine Darodes (ci-contre), en fonction du choix des collectivités. Ces dernières, rappelle-t-il, auront la main sur ce dispositif : à elles de voir quelle zone de leur territoire elles souhaitent confier au privé, en fonction de leur situation. Il peut par exemple s’agir de raccourcir des délais jugés trop lointains, comme l’envisage désormais Mégalis Bretagne.
Le dispositif AMEL aura aussi l’avantage de sceller les éventuels engagements des opérateurs, dans le cadre de l’article L33-13 du Code des postes et télécommunications. Ces engagements seront contraignants, notamment en termes de délais, et pourront déboucher sur des sanctions en cas de non-respect. Reste à voir comment tout cela pourra s’imbriquer avec les initiatives législatives en cours, notamment la proposition de Loi Chaize, face à laquelle le directeur de l’Agence du Numérique a paru bien réservé.
Fibre en zones AMII : accord en vue
Pour encadrer les AMEL, un « standard » : celui défini par l’accord concernant les zones AMII, sur lesquelles « le travail est achevé », indique encore Antoine Darodes. Une nouvelle pièce du puzzle que le gouvernement devrait transmettre à l’Arcep pour avis dans les tous prochains jours. Suite à quoi il pourra décider d’acter les engagements des opérateurs, qui seront « contrôlables, opposables et sanctionnables » par le régulateur, assure le patron de l’Agence du Numérique.
Objectif : « que fin 2020, tous les locaux de cette zone puisse bénéficier d’une offre de raccordement au FttH ». Il sera intéressant de voir comment les opérateurs parviendront à faire coïncider ces engagements opposables avec la réalité du terrain, ou l’échéance de 2022 est de plus en plus fréquemment avancée. Orange et SFR l’ont pourtant réaffirmé à Deauville : les engagements pris auprès de l’Etat au titre de la zone AMII seront tenus.
Autre réalité de terrain en zone AMII : les déploiements en doublon, que rien n’interdit mais que le régulateur voit d’un très mauvais œil. Soucieux de « maximiser l’investissement efficace », l’Arcep annonce ainsi la prochaine mise en consultation d’une « recommandation visant à préciser le cadre réglementaire » afin d’assurer la « bonne cohérence des déploiements » en présence de plusieurs opérateurs. Une bonne nouvelle pour les agglos qui veulent accroître l’emprise de la fibre sur leur territoire, mais voient au lieu de cela se superposer les réseaux des deux opérateurs sur les mêmes zones.
Arrivée sur les RIP tiers : les OCEN entrouvrent la porte
L’enjeu premier, c’est le déploiement, ont insisté les participants au rendez-vous deauvillois. En particulier en zone rurale, où les réseaux d’initiative publique n’agrègent encore que 1,2 million de prises. Mais une fois le réseau branché, reste encore à le remplir. A cet égard, l’arlésienne de l’arrivée des OCEN sur les RIP commence enfin à prendre corps, avec l'arrivée de Bouygues, et dans une moindre mesure, de Free, sur les réseaux Axione.
Quid d’Orange et SFR ? « Tout le monde discute avec tout le monde », résume Cyril Luneau, directeur des relations avec les collectivités d’Orange, laissant entendre une arrivée prochaine de l’opérateur historique en passif sur certains RIP tiers. Parmi ceux-ci, lâche-t-il, les réseaux SFR d’Oise et Eure-et-Loir, qu’Orange pourrait investir avant l’été. Là aussi donc, le grand assemblage du THD pourrait donc avancer sous peu, même si aucune info concrète n'a été distillée sur d'éventuelles disponibilités sur les réseaux Axione, Altitude, Covage ou les futurs RIP confiés à TDF.
Pas plus que du côté de la filiale d’Altice, Lionel Recorbet, directeur de SFR Collectivités, se bornant à annoncer l’arrivée du carré rouge sur les réseaux autres que les siens « à moyen terme ».
La concurrence pour remplir les RIP
Inversement, qu’en est-il de l’accueil d’autres FAI sur les réseaux exploités par Orange et SFR ? Lionel Recorbet indique que SFR discute actuellement avec des collectivités sur l’opportunité d’activer certains réseaux passifs les plus anciens, comme l’Oise, ou d’y produire des offres de gros activées.
Orange, de son côté, balaie les soupçons liés à son statut d’opérateur intégré en rappelant la signature récente de plusieurs RIP neutres, ouverts et activés, à même d’accueillir la concurrence des petits opérateurs. Une logique que Mathias Hautefort, PDG de Vitis voudrait voir aller jusqu’au bout, rappelant que le modèle passif adopté sur les réseaux publics les plus précoces interdit « par définition » à son offre La Fibre Vidéofutur, mais aussi celles de ses concurrents comme Wibox, Ozone ou K-Net, de s’y positionner.
La diversité concurrentielle stimule pourtant l’adoption de la fibre, insiste-t-il, statistiques à l’appui, rejoint dans cette analyse par Pascal Rialland. Le président du directoire de Covage juge du reste cette approche plus efficace, par exemple, que le statut de zone fibrée. Censé permettre d’accélérer la migration du cuivre vers la fibre dès lors qu’un territoire est desservi en totalité, le label se fait toujours attendre. Antoine Darodes est aussi revenu sur cette autre pièce du puzzle, annonçant une sortie des décrets « d’ici juin ou juillet dans le meilleur des cas ». Et de possibles expérimentations à suivre sur certains territoires où la commercialisation ne décolle pas.
THD Radio vs 4G fixe : quelle cohabitation ?
Souvent égratigné lors de ces rendez-vous, Orange s’est également vu reprocher de concurrencer par le cuivre les RIP qu’il n’exploite pas. « C’est une obligation liée au service universel », corrige Cyril Luneau, réaffirmant que l'opérateur historique reste « essentiellement tourné vers la fibre ». Sans pour autant abandonner les solutions d’attente, avec une fibre jusqu’au village (FttN) récemment repensée, après consultation des collectivités, pour préparer plus efficacement « le coup d’après » en FttH. Deuxième axe : la 4G fixe, pour laquelle Orange s’est engagé à proposer des offres « là où il y aura un débit fixe inférieur à 8 Mb/s ».
Face à la (future) force de frappe 4G des OCEN en zones mal couvertes en fixe, quel espace pourra occuper le THD Radio ? Dans le cadre de l’« accord historique », Orange et SFR ont pris des engagements sur des « zones géographiques identifiées par le gouvernement », précise le document technique de l'Arcep, sans que l’on sache si ces dernières tiendront compte des initiatives THD Radio des collectivités. Celles qui opteront pour cette solution d’attente devront pourtant engager des investissements supplémentaires non négligeables – à titre d'exemple, 8 millions d’euros pour le pionnier Rcube THD en Bourgogne-Franche-Comté. Pour sécuriser leur modèle économique, il y a là, sans doute, une incertitude à lever.