En Savoie, le rachat de Fibréa par Covage crée des remous auprès des opérateurs locaux du segment entreprises et collectivités. Il y a quelques jours, l’Association des opérateurs télécom alternatifs (AOTA) relayait leurs doléances à l’endroit du nouveau propriétaire de ce réseau de fibre noire. Pour cette dernière, l’épisode illustre à nouveau les difficultés rencontrées par ses adhérents dans leurs relations avec Covage, déjà signalées en début d'année. Elle demande ainsi à l’Arcep d’organiser d’urgence une action de médiation avec ce dernier. Et réclame plus globalement des pouvoirs publics une remise à plat des conditions d’exercice imposées aux clients des opérateurs de RIP.
Savoie : différend sur la fibre noire
Lancé dans un projet de déploiement 100% FttH en Savoie en avec Orange, Covage, a, en amont, racheté l’opérateur local Fibréa, à la tête d’un réseau d’environ 500 km de fibre noire dans les vallées de la Tarentaise et de la Maurienne. Une infrastructure que cette filiale de la société d’économie mixte Soréa louait jusqu’ici aux fournisseurs d'accès locaux à des conditions très attractives. Le passage du réseau sous pavillon Covage, effectif depuis fin septembre, s’apprête néanmoins à changer la donne. Il s’accompagne en effet d’une révision des conditions opérationnelles et commerciales susceptibles, estime l’AOTA, de déstabiliser significativement le modèle des opérateurs de proximité.
Dans le viseur, en particulier, la disparition annoncée de l’offre de fibre noire proposée depuis plusieurs années, et bon marché car « facturée au tarif d’une offre activée », nous explique Blandine Dalond-Virondaud directrice commerciale et marketing de Covage. « Une offre un peu particulière, et qui ne peut être gardée ». Non seulement parce qu'elle ne rentre pas dans les grilles tarifaires de l'opérateur, mais surtout parce qu'elle « ne correspond pas une réalité du marché ». A preuve, poursuit-elle, les difficultés financières rencontrées par l'entreprise, qui ont conduit à sa cession, démontrant que ses offres « n'étaient pas adaptées à la réalité économique ».
S’y substituera une offre de fibre noire facturée à la distance, « tout à fait conforme » aux standards des RIP, permettant « aux opérateurs qui souhaitent activer les services de le faire aux conditions du marché, à des tarifs tout à fait normaux ». Blandine Dalond-Virodaud nous précise également que la plupart des clients de Fibréa ont « accueilli favorablement cette nouvelle situation, de nature à rétablir une équité de traitement qu’ils ne jugeaient pas évidente ». Un seul fournisseur d'accès aurait manifesté son désaccord, avec lequel une réunion est programmée pour la mi-décembre, ajoute-t-elle.
Du côté de l’AOTA, l'argument de la décorrélation au marché ne convainc pas : pour son président David Marciano, l’existence d’offres forfaitaires indépendantes de la distance, « par exemple sur le réseau de la RATP », démontre qu’il est « tout à fait possible de maintenir une offre très attractive de fibre noire » dans ces conditions. Et de rappeler que, si l’une des préoccupations dans le cas des RIP porte souvent sur la présence d’offres activées pour permettre à une diversité d’opérateurs d’y évoluer, celles-ci doivent continuer à cohabiter avec des offres passives permettant aux opérateurs de proximité de se différencier en proposant des services innovants. Ce que Covage aurait pu faire, poursuit David Marciano « avec un peu de bonne volonté ».
Préavis raisonnables : régime de faveur pour les exploitants de RIP ?
Autre grief soulevé par l’AOTA : des nouvelles conditions Covage mises en place « unilatéralement » et « sans préavis raisonnables ». Au point de remettre en cause des commandes, « cruciales pour la saison hivernale », déjà passées aux anciennes conditions. Sur cet aspect, Blandine Dalond-Virondaud se veut rassurante : « Nous avons regardé avec les opérateurs ce qui était dans le tunnel des commandes jusqu’à la fin novembre, et pour lesquelles nous accepterons encore les anciennes conditions ». De même pour les devis appelés à être signés avant le 1er décembre. Soit un délai de deux mois après la prise de contrôle officielle de Fibréa. En tout état de cause, tient à souligner la directrice commerciale, Covage s’est rapproché de chacun des clients de Fibréa pour les informer des nouvelles conditions opérationnelles et tarifaires. Et a vérifié que « contractuellement, juridiquement, nous n’étions pas en infraction » en procédant ainsi.
Pas en infraction, et, pour l’AOTA, c’est justement là que le bât blesse. L’association déplore ainsi la différence de traitement entre Orange « soumis à des obligations fortes imposées par l’Arcep en termes de préavis raisonnables », et les opérateurs de RIP, « qui échappent en pratique à toute obligation en ce sens ». De façon analogue à un Orange « opérateur dominant » au niveau national, les RIP constituent pourtant de fait des « monopoles locaux », fait valoir David Marciano. En cas de nouvelle donne sur ces réseaux, poursuit-il, les petits opérateurs qui en dépendent devraient ainsi bénéficier d’« au moins six mois » pour adapter leur modèle économie et technique.
Anticiper la consolidation des RIP
L’épisode savoyard apporte ainsi de l’eau au moulin de l’AOTA, en constituant un précédent probablement appelé à se reproduire. L’association s’attend en effet à ce que les réseaux d’initiative publique, aujourd’hui très fragmentés, connaissent un mouvement de consolidation dans les années à venir. Pour David Marciano, cela sera même une « quasi nécessité » qui doit conduire l’Arcep à intervenir « le plus tôt possible » pour éviter que ces consolidations futures ne « dépositionnent les modèles économiques des opérateurs qui commercialisent ces infrastructures ».
Cette doléance s'ajoute aux actions réglementaires réclamées de longue date, qui visent aussi l’harmonisation des catalogues d’offres des opérateurs de RIP, aujourd’hui « incompréhensibles », ou la modernisation de leurs systèmes d’information, « complètement archaïques », souligne le président de l’AOTA. Sans oublier les « difficultés opérationnelles et contractuelles » rencontrées par les opérateurs de proximité, qui conduisent l'association à alerter les services du Premier ministre « pour demander un meilleur suivi des RIP et des subventions attribuées, en particulier ceux exploités par Covage ».
Covage et opérateurs alternatifs : réunion d'urgence demandée
De manière plus immédiate, l’Arcep est également sollicitée pour que soit organisée une réunion multilatérale de médiation entre Covage et ses clients rencontrant ces mêmes « difficultés opérationnelles » sur les réseaux d'initiative publique qu'il exploite. Un sujet signalé en février dernier par l’AOTA, qui avait donné lieu à des échanges avec l’opérateur de RIP afin de régler les dysfonctionnements relevés par ses adhérents. A cette occasion, un « plan d’action a été formalisé » et les différents sujets remontés « ont été traités » réagit Blandine Dalond-Virondaud. Qui, n’ayant eu « aucune nouvelle alerte » depuis lors, s'avoue ainsi « surprise » de cette nouvelle initiative des représentants des opérateurs alternatifs. Tout en se disant toujours « parfaitement à leur écoute » et en indiquant avoir initié il y a quelques jours une tentative de contact.
En face, l’AOTA déplore que de premiers échanges « satisfaisants » n’aient pas été suivis d’effet sur le long terme, et plus généralement un « manque de proactivité » de la part de Covage sur les difficultés soulevées. « Les choses avaient un peu bougé », admet David Marciano, « mais aujourd’hui nous avons le sentiment que nous sommes en train de revenir à la case départ ». D’où la demande d’une réunion d’urgence sous l’égide de l’Arcep, qui, jusqu'ici, est restée « dans l'observation » sur ce sujet, ce que l'association juge « un peu décevant ». De son côté, l'Autorité de régulation nous confirme, pour l’heure, être en train de « regarder le dossier »...