Le Lot-et-Garonne change son fusil d’épaule. Engagé dans un projet de déploiement de la fibre optique sur dix ans, le département saisit l’opportunité des AMEL pour bifurquer. Principe de ces Appels à manifestations d’engagement locaux, initiés par le gouvernement il y moins d’un an : sonder les intentions des opérateurs privés pour déployer la fibre sur leurs propres deniers en zone d’initiative publique. Avec un objectif double : rationaliser la dépense publique et accélérer les déploiements sur les territoires promis à un raccordement tardif.
103 000 prises pour Orange, trois ans de gagnés
Le syndicat mixte Lot-et-Garonne Numérique a finalement retenu la proposition d’Orange. Ce dernier se chargerait ainsi du déploiement de la fibre optique sur les territoires initialement concernés par la phase 2 du projet 2022-2026, nous explique Pierre Camani, président du conseil départemental et du syndicat mixte Lot-et-Garonne Numérique. Les 103 000 prises du périmètre confié à Orange seraient déployées d’ici à fin 2023, avec trois ans d’avance sur le calendrier initial (voir carte ci-dessous), nous détaille l’élu.
Pas de changement, en revanche, pour les 44 000 locaux inscrits en phase 1. Cette première portion du chantier, entamée cet été, sera achevée en 2021 dans le cadre du marché attribué en 2017 au groupement Ineo-Safege-Spie. Avec de premières commercialisations annoncées fin 2018.
La collectivité devient ainsi la première à s'engager dans la voie AMEL. Elle devra à présent soumettre la proposition d’Orange au gouvernement afin qu’il valide la procédure. Et, surtout, qu’il la grave dans le marbre, en la plaçant sous le régime de l’article L33-13 du Code des postes et des communications électroniques : les engagements de l’opérateurs historiques seront alors contraignants et juridiquement opposables.
AMEL : le Lot-et-Garonne saute sur l’occasion
Trois ans de gagnés donc, mais aussi une économie conséquente pour une collectivité qui ne roule pas sur l’or. Et déjà engagée à hauteur de 3 millions d’euros par an sur une phase 1 dont le financement public global avoisinait les 80 millions. Lot-et-Garonne Numérique redoutait ainsi des « coûts importants » pour la phase 2, que Pierre Camani anticipait aux alentours de 130 à 150 millions d’euros. Sans parler des « incertitudes » entourant les financements de l’Etat, suite à la suspension du guichet FSN l’hiver dernier.
Un contexte qui a convaincu le patron du département, par ailleurs secrétaire général de l'Avicca, l'Association des villes et collectivités pour le numérique et l'audiovisuel. « Militant des RIP mais aussi pragmatique », l’élu confie avoir « sauté sur l’occasion » lorsque le gouvernement a lancé les AMEL. Le Lot-et-Garonne sera d’ailleurs le premier à s’engouffrer dans le dispositif en février dernier.
Pas d’options agressives
4 candidatures d’opérateurs sont retenues, dont deux s’engageant sur la totalité de la phase 2. Pierre Camani confie ainsi avoir été « surpris par la qualité des offres » soumises. « Je suis le premier à m’insurger contre les comportements agressifs des opérateurs privés dans les RIP », poursuit l’élu. Qui souligne toutefois ici l’approche partenariale adoptée par ses interlocuteurs, ceux-ci n’ayant pas manifesté l’intention de « piocher dans les zones les plus rentables ».
Les discussions n’en ont pas moins été animées : le calendrier, mais aussi le taux de prises raccordables à la demande (8%) ont été « âprement négociés », précise le président du CD 47. Deux points sur lesquels les discussions ont d’ailleurs achoppé sur l’AMEL lancé par Mégalis en Bretagne. Ces écueils ont été surmontés dans le Lot-et-Garonne pour une issue qui satisfait largement l’élu, « fier de ce résultat » : au regard du contexte local et national, il estime ainsi avoir obtenu une « proposition exceptionnelle » pour son département.
Nouvelle-Aquitaine : accords et désaccords
Si Pierre Camani explique avoir trouvé chaussure à son pied avec cet AMEL, l’annonce a de quoi surprendre dans une Nouvelle-Aquitaine plutôt remontée contre le dispositif. Dans un courrier transmis au Premier ministre le mois dernier, co-signé par les acteurs régionaux et départementaux, Lot-et-Garonne inclus, les élus critiquaient vertement le recours au privé dans la zone publique, et appelaient l’Etat à réactiver le guichet censé alimenter les projets de RIP. Mathieu Hazouard, conseiller régional et président de la société publique locale Nouvelle-Aquitaine THD, nous disait ainsi récemment tout le mal qu’il pensait des AMEL. Une « supercherie » susceptible de fragiliser les plans de financement des réseaux publics, opportunément mise sur pied pour justifier l'arrêt des subventions, cinglait-il.
S’il déplore la position du gouvernement sur les aides publiques – « l’Etat ne nous rembourse pas » sur les fonds déjà engagés, Pierre Camani met une fois de plus en avant la situation particulière de son département pour défendre une approche pragmatique sur l’AMEL. Un choix dont les deux élus ont eu l’occasion de discuter : « Mathieu Hazouard aurait préféré qu’on ne lance pas cet AMEL, mais comprend notre choix étant donné le contexte du Lot-et-Garonne », nous explique ainsi le président du département. Qu’en est-il, alors, de la participation de Lot-et-Garonne Numérique à Nouvelle-Aquitaine THD, la société publique locale (SPL) mise sur pied pour exploiter l’ensemble des réseaux publics adhérents ?
Réseaux parallèles
Le réseau de phase 1 restant dans le giron public, il sera exploité par la SPL, mais la phase 2 déployée par Orange restera aux mains de l’opérateur historique. Deux offres commerciales cohabiteront donc sur le département, avec sans doute, sur le modèle des zones AMII, un choix restreint aux FAI nationaux sur le réseau Orange, jusqu’ici fermé aux FAI de proximité. Situation assumée par Pierre Camani, pour qui l’arrivée des grands noms dans les campagnes sera déterminante pour convaincre les usagers de passer à la fibre.
Tout comme il assume l’abandon de la propriété d’une partie du réseau, qui entamera mécaniquement les recettes d’exploitation de Nouvelle-Aquitaine THD. Bâtir un réseau entièrement piloté par le département aurait nécessité des engagements financiers potentiellement « démesurés », insiste-t-il. Et sans garantie en retour d’une rentabilité à terme. « Les RIP ne sont pas mis en place pour alimenter des recettes futures, pour permettre à la collectivité de constituer une trésorerie », fait-il également valoir. Fort de ces arguments, le patron du département n’a pas d’états d’âme : en s’en remettant au privé, il n’a ainsi « pas le sentiment de perdre quoi que ce soit ».