Le gouvernement l'a de nouveau promis lors de l'événement de rentrée de l'écosystème THD : la France sera au rendez-vous de la "Gigabit Society" en 2025. Et pour apporter 100 Mb/s minimum à tous les Français à cette échéance, l'exécutif compte sur le "quasi 100% fibre". Si le déploiement est indéniablement sur de bons rails, quelque 3 millions de lignes restent dans le brouillard. Les territoires attendent toujours la promesse d'un coup de pouce financier de l'Etat pour que puissent être enclenchés des projets de réseaux publics.
Le guichet RIP reste fermé
Verre à moitié vide ou à moitié plein ? Les acteurs du Très Haut Débit réunis ces deux derniers jours à Marcq-en-Barœul (59) ne pouvaient que se féliciter de l'accélération du déploiement de la fibre optique ces derniers mois. L'objectif des 4 millions de lignes supplémentaires en 2019 sera atteint, et probablement dépassé, s'est ainsi enthousiasmé Etienne Dugas. Pour le président d'InfraNum, une confirmation que la filière est désormais fermement ancrée sur la trajectoire définie il y a quelques mois pour parvenir aux objectifs du plan France THD en 2022 : 100% des Français en Très Haut Débit, dont 80% en fibre optique
Mais le verre est resté à moitié vide, faute de visibilité sur l'après-2022. Pour permettre aux territoires d'enclencher les derniers projets de réseaux d'initiative publique (RIP), industriels et collectivités attendaient - une fois de plus - de Julien Denormandie qu'il annonce la réouverture du guichet à subventions, désespérément clos depuis fin 2017. Ils n'ont rien obtenu de tel du ministre de la Ville et du Logement. Lequel a préféré promouvoir une approche "agile", au plus près des besoins en fonction de la maturité des projets, plutôt que le déblocage d'une enveloppe globale.
Après 18 mois de sondage des intentions d'opérateurs privés pour accélérer le déploiement de la fibre en zone d'initiative publique, le représentant du gouvernement convient certes qu'environ 25 territoires auront besoin d'aide de la part de l'Etat. Mais se contente de renvoyer la décision au débat parlementaire. C'est-à-dire le projet de Loi de finances discuté cet automne, qui permettrait de dégager une partie des 600 millions d'euros jugés nécessaires. L'exercice ne s'était pas révélé bien fructueux à cet égard l'an dernier, malgré l'appui de députés de la majorité. Encouragé par une motion réclamant la réouverture du guichet, votée à l'unanimité à l'Assemblée en juin dernier, le sénateur Patrick Chaize (LR) veut croire que les députés agiront en "cohérence" avec cette initiative lors du prochain débat budgétaire.
"Pas de vision claire sur 2025"
D'autant que l'effort financier à consentir peut être modeste, ajoute l'élu, également président de l'Association des collectivités pour le numérique (Avicca). En attestent les dernières attributions de marché qui ont mobilisé relativement peu d'argent public. L'engagement total pourrait même se révéler bien inférieur aux 600 millions d'euros estimés, renchérit Etienne Dugas. Pour les co-organisateurs de l'Université d'été du THD, tout cela est désormais moins une question d'argent qu'affaire de "volonté politique". L'intervention du président de la République est même réclamée, afin qu'il rassérène les territoires en mal de soutien et confirme plus généralement les engagements formulés dès le début de son mandat.
Fait rare : l'exécutif s'est également vu réclamer des comptes par le régulateur des télécoms. Les ambitions de la France sur les infrastructures fixes qui permettront de parvenir à la Gigabit Society en 2025 "ne sont pas claires", a ainsi regretté Sébastien Soriano, président de l'Arcep. "Il est temps de s'en soucier", a-t-il insisté, réclamant "une vraie discussion technique, qui engagera les politiques, pour définir précisément quelles sont les ambitions de la France pour 2025".
Les AMEL pérennisés ?
Pour l'heure, le gouvernement n'est manifestement pas dans cette anticipation. Plutôt dans l'optique de sortir le plus de lignes possibles, le plus rapidement possible. Et continue pour ce faire de miser sur les projets de déploiement privé en AMEL. Au printemps dernier. une date, le 15 juin, avait pourtant été officiellement avancée pour arrêter d'enregistrer ce type de dossier. Et de fait redonner la main aux réseaux d'initiative publique dans un avenir proche. Aujourd'hui, visiblement encouragé par les 1,3 million de lignes sur lesquelles les opérateurs privés se sont engagés en zone peu dense, l'exécutif cache de moins en moins sa tentation de pérenniser le dispositif.
Localement, l'AMEL a parfois été accueilli comme une une occasion en or pour des territoires souhaitant accélérer sur la fibre, et parfois suscités de fortes tensions. Des différences d'appréciation que l'Avicca ménage, en prenant soin de souligner qu'elle n'est pas fondamentalement anti-AMEL. Ce qui ne l'empêche pas de rappeler ses réserves vis-à-vis de la procédure. D'abord parce que, faute de guichet RIP, elle restera la seule proposée aux collectivités. Ce qui les prive du "choix politique" de la "souveraineté numérique", car la propriété des réseaux bâtis par le privé échappera aux collectivités, déplore Patrick Chaize. Quant à l'économie réalisée, elle n'est que de façade, ajoute-t-il. Les zones où les opérateurs privés ne trouveront pas de rentabilité financière resteront in fine à la charge de la puissance publique. C'est elle, martèle l'élu, qui supportera d'une manière ou d'une autre la facture de "l'équilibre de l'aménagement des territoires".
La QPC d'Orange s'invite dans les débats
Echaudé par l'expérience des zones AMII, l'Avicca reste en effet persuadée que la complétude des déploiements finira par incomber aux territoires. Elle jugeait déjà "un peu fragile" l'article L33-13 disposant le caractère juridiquement contraignant des engagements de déploiement des opérateurs, sous peine de sanction financière. Le dépôt par Orange d'une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC) visant à museler l'Arcep a renforcé ces inquiétudes.
La contestation du pouvoir de sanction du régulateur a bien entendu parcouru les débats à Marcq-en-Barœul. D'autant plus après la deuxième couche passée par le patron d'Orange dans un entretien aux Echos. Le collège de l'Arcep avait déjà répliqué que son bâton "cachait la forêt" d'un modèle de régulation pas si défavorable que ça à l'opérateur historique. Hier, Sébastien Soriano a aussi souligné que ce volet de son action répondait à une attente forte des parlementaires. "Les élus de la Nation ne m'ont pas demandé d'être gentil avec le cours de Bourse d'Orange, ils m'ont demandé de vérifier le respect des engagements et de mettre en œuvre les procédures", a-t-il résumé. Et de réaffirmer, fort de cette mise au point, que l'Autorité resterait dans sa mission, en contrôlant, et sanctionnant les éventuels manquements constatés.
L'exécutif a également joué sa partition en soulignant que les engagements des opérateurs sur les déploiements fixes et mobiles avaient désormais force de loi. "Quel que soit le schéma de sanctions, ce qui est sûr, c'est que tout sera contraignant", a ainsi assuré Julien Denormandie. Au cas où l'Arcep venait à être privée de son fameux bâton, la députée de la majorité Christine Hennion a quant à elle évoqué la possibilité de "légiférer rapidement" pour conserver un moyen de pression sur les opérateurs. De quoi rassurer les collectivités ? Pas forcément : moins que l'acte de la QPC en lui-même, ou que la possibilité de voir les déploiements déraper de quelques mois, c'est surtout l'attitude défensive que dénote le recours d'Orange à cette "arme nucléaire" qui inquiète Patrick Chaize. Signe, pour l'élu, que la "confiance" entre opérateurs et collectivités n'est toujours pas au rendez-vous.