La 5G en France rentre dans les starting-blocks. Vendredi dernier, les modalités d'attribution des fréquences de la bande 3,5 Ghz ont en effet été arrêtées par l'Arcep. Dimanche, le gouvernement dévoilait pour sa part le prix de réserve en deçà duquel il n'entend pas céder la première portion de spectre dédiée réseau mobile de 5e génération. Et les opérateurs font la grimace : le prix plancher retenu leur apparaît beaucoup trop élevé.
Soit 4 ensembles de 50 MHz attribués au prix fixe de 350 millions d'euros à chacun des quatre opérateurs, et 11 blocs de 10 Mhz qu'ils se disputeront ensuite aux enchères, mise à prix 70 millions d'euros. Soit 2,17 milliards d'euros au total, quand Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free ne s'attendaient pas à voir ce prix de réserve dépasser les 2 milliards. L'Arcep militait même il y a quelques jours pour un prix de 1,5 milliard "grand maximum", pressentant des enchères "disputées", dont, en bout des ligne, les consommateurs risquaient de faire les frais.
Les fréquences 5G trop chères ?
Ce montant est pourtant présenté comme "raisonnable" par Agnès Pannier-Runacher dans un entretien aux Echos. Notamment, argumente la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances, au regard des sommes qu'on dû débourser les opérateurs allemands ou italiens. Ce chiffre correspond à celui déterminé par la Commission des Participations et Transferts, laquelle "analyse le prix en dessous duquel le patrimoine des Français ne lui semble pas devoir être cédé", a aussi fait valoir la représentante de Bercy.
Un discours qui se heurte à la réalité opérationnelle et financière de la 5G, ont réagi les opérateurs. "Cette décision n’est pas cohérente avec ce qui a été avancé ces derniers mois par le gouvernement", s'est ému Arthur Dreyfuss, président de la Fédération française des télécoms (FFT). Laquelle n'a de cesse de mettre l'Etat en garde contre une flambée des prix qui les priverait des moyens d'investir ensuite dans le déploiement. D'autant que les obligations qui leurs sont assignées en contrepartie de l'attribution des fréquences, notamment en matière de couverture, leur semblent trop ambitieuses. Les opérateurs attendent en outre du gouvernement qu'il clarifie sa position sur le cas Huawei, équipementier sans lequel ils auront bien du mal à tenir aussi bien leurs engagements que leurs finances.
Des fréquences 5G trop chères : un différend de plus sur la route du futur réseau mobile, déjà semée de nombreux désaccords. Ceux-ci apparaissent dans les réponses des opérateurs à la consultation lancée par l'Arcep sur son projet de décision cet été. Leurs revendications y portent non seulement sur le prix de réserve, mais aussi sur la taille des blocs à prix fixe, le rythme de déploiement, les obligations de couverture en 5G ou encore la durée des licences. Une liste non exhaustive de désaccords sur lesquels le régulateur a parfois infléchi sa position, mais est loin d'avoir donné satisfaction au quatuor des télécoms.
Source : Arcep
Blocs de 50 MHz : l'Arcep prend acte mais n'en pense pas moins
Des blocs vendus à prix fixe en contrepartie d'obligation dans un premier temps, des enchères ouvertes sur le reste des fréquences ensuite. C'était la proposition du régulateur pour permettre à Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free de disposer d'une quantité minimum de spectre pour déployer leur 5G. Restait à s'entendre sur la taille des blocs à prix fixe. Trop petits (40 Mhz pour chacun), ils risquaient d'entraîner une surenchère au second tour qui aurait laissé les opérateurs exsangues. Trop gros (60 MHz), ils n'auraient pas permis à l'Etat de récupérer la manne escomptée.
L'Etat a finalement décidé de couper la poire en deux en optant pour des blocs de 50 MHz. Contre l'avis de l'Arcep, qui penchait pour 60 MHz. Pour préserver les capacités d'investissement des opérateurs, mais aussi pour ne pas déséquilibrer l'attribution en faveur d'Orange et SFR. "Avec des blocs à 50 MHz, pour un total de 310 MHz, le risque est de voir un opérateur obtenir deux fois plus de fréquences qu’un autre", expliquait ainsi son président Sébastien Soriano dans Le Figaro. Moins bien armés financièrement pour surenchérir, Bouygues Telecom et Free craignent en effet d'être perdants dans l'affaire.
Pourquoi Bouygues et Free voulaient plus de blocs 5G
"Le mécanisme proposé par l’Arcep apparaît totalement contraire à l’objectif d’équité spectrale", avait pourtant fait valoir Bouygues Telecom, dans sa réponse à la consultation de l'été dernier. Un texte malheureusement expurgé des références aux tailles des blocs, pour cause de secret des affaires. Iliad, en revanche, ne s'est pas embarrassé de cette précaution : la maison-mère de Free insistait ainsi sur la nécessité d'une dotation fixe d'au moins 60 MHz. Parce qu'au vu de ses capacités financières moindres, le risque existe qu'elle reparte bredouille du 2e tour d'enchères.
Source : réponse d'Iliad à la consultation publique de l'Arcep du 15 juillet 2019
Or ces 60 MHz sont, selon l'opérateur, la quantité minimale qui permettra de dépasser les performances actuelles en 4G, pour "proposer au moins 1 Gb/s". Et qui lui laissera également suffisamment de marge pour développer ses futurs services entreprises. Sans parler de l'"asymétrie spectrale" avec ses concurrents, qu'une dotation finale inférieure à 60 MHz ne ferait qu'accentuer, prévient Iliad.
Las : avec l'orientation retenue, il lui faudra donc arracher au minimum 10 MHz de plus aux enchères. En cas d'échec, le groupe de Xavier Niel demandait aussi à être exonéré de certaines des obligations, qu'il ne s'estimait pas en capacité de satisfaire avec moins de 60 MHz. Chou blanc également : il devra se plier quoi qu'il en soit à l'ensemble des exigences dont sont assortis les blocs à prix fixe.
Un rythme de déploiement "beaucoup trop élevé" ?
Iliad réclamait notamment la suppression du troisième jalon de déploiement de sites 5G - 12 000 à fin 2025 - pour les opérateurs qui n'obtiendraient pas ces fameux 60 MHz. L'Arcep n'y a pas donné droit, mais a néanmoins rectifié le tir. Cette obligation a été revue à la baisse, à 10 500 sites. Un ajustement qui, au-delà des suggestions de Free, reflète les nombreuses critiques rencontrées par l'échéancier initial. Celui-ci supposait une accélération de 1 000 sites par an en 2020, 2021 et 2022 à 2 500/an en 2023-2024 puis 4 000/an pour la seule année 2025.
Injouable, ont notamment répondu Bouygues Telecom, Orange et Free. Lesquels invoquent des contraintes techniques, financières et administratives. Les opérateurs n'ont tout simplement pas le moyens de réaliser le "saut" de 4 000 sites initialement attendu en 2025, fait valoir Bouygues Telecom. Pour qui, du reste, "il n’existe pas non plus de besoins capacitifs de cette ampleur à cet horizon". Si l'Arcep a finalement accepté de revoir à la baisse ses attentes pour 2025, il n'a pas pour autant donné suite aux demandes de Free, qui demandait un décalage de 12 mois des jalons 2022 et 2024. Ni à celle d'Orange, qui réclamait pour sa part un report des échéances 2024 et 2025 à 2025 e 2028 respectivement.
Obligations de couverture 5G : débat sur les zones moins denses
8 000 sites en 2024 et 10 500 en 2025, donc. Mais pas seulement en secteur urbain. Conformément aux attentes du gouvernement, l'Arcep entend s'assurer que le déploiement de la 5G bénéficiera aussi aux zones peu denses, où l'on devra retrouver au moins 25% des volumes attendus à ces échéances. Là encore, l'idée n'a pas fait l'unanimité, spécifiquement s'agissant du périmètre concerné. Le régulateur avait initialement proposé de faire porter cette obligation sur les quelque 22 000 communes de zone de déploiement prioritaire (ZDP) telles que définies par la décision de 2015 sur l'attribution des fréquences 700 MHz.
Bouygues Telecom n'y va pas par quatre chemins : "Les obligations de couverture sont très lourdes et incohérentes avec l'objet vendu". Pour l'opérateur, la bande 3,4-3,8 GHz est destinée à des usages avant tout capacitaires, si bien que son utilisation "n’est pas pertinente en zones peu denses". Raison pour laquelle il plaidait dans sa réponse estivale pour une redéfinition de ladite zone. Ou plutôt, son extension "aux unités urbaines de moins de 50 000 habitants disposant de plus 500 entreprises et/ou 500 chambres d’hôtel et emplacements de camping". Tout en limitant le volume de sites à 15%, au lieu de 25%. Par ailleurs, l'opérateur réclamait la suppression de l'obligation de couverture en zone peu dense en deçà d'une certaine quantité de fréquence (non révélée par l'opérateur) pour le bloc à prix fixe.
Iliad pose le même type de condition : celle d'obtenir 60 MHz au minimum, point sur lequel le groupe n'a pas obtenu satisfaction (en tout cas pas sur les blocs à prix fixe). Muni d'une telle largeur de spectre, la maison-mère de Free jugeait envisageable de recourir à la 5G fixe pour pallier les carences de la fibre à long terme grâce au "surcroît de capacité mobile". "Un déploiement systématique de la bande 3,5 GHz sur les 4 500 sites zones blanches quadri opérateurs" lui semble ainsi plus pertinent que d'installer "3 000 sites ZDP par opérateur", car d'une plus grande "utilité sociale" à coût "probablement" égal.
Cette approche consistant à prioriser les déploiements 5G sur "des territoires dont on est sûr qu'ils ne bénéficieront pas du FttH avant une date à déterminer" est également évoquée par d'autres acteurs. Utiliser la 5G fixe pour pallier les futures carences du très haut débit filaire est l'une des pistes évoquées par le Cerema (Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement), ou encore par l'Assemblée des départements de France. Lesquels suggèrent de consulter les collectivités pour identifier les territoires à équiper en priorité. Une préconisation que l'on retrouve, sans surprise, du côté de l'Association des villes et collectivités pour le numérique (Avicca). Pas simplement pour la 5G fixe mais pour laisser plus globalement la possibilité aux territoire de prioriser des "zones à vocations économique, touristique, des équipements culturels..."
Enfin, l'opportunité d'ajouter le périmètre ZDP la toute fraîche liste des "Territoires d'Industrie" est suggérée par plusieurs acteurs : Cerema encore, mais aussi Banque des Territoires ou Orange. Un complément finalement retenu par l'Arcep dans son cahier des charges.
Licences 5G : trop longues ou trop courtes ?
Dernier point de contestation de la part des opérateurs : l'attribution des licences 5G pour une durée initiale de quinze ans seulement, extensible de cinq ans après bilan de l'Arcep. L'Autorité estime que cette durée est "adaptée au niveau d’investissements requis pour remplir les obligations prévues par la procédure". Pas Orange, Bouygues Telecom et SFR : le trio juge que cela ne suffira pas à rentabiliser leurs investissements.
Face aux "incertitudes économiques d'un marché en devenir", Orange estime qu'il faut prendre en comptes les "efforts importants d'investissements" que devront consentir les opérateurs pour déployer la 5G. "Bien plus conséquents" que sur les précédentes technologies 3G et 4G, renchérit SFR, où l'on avait pourtant opté pour des autorisations de 20 ans. "Dès lors que le projet de cahier des charges de l’Arcep prévoit des obligations de déploiement à douze ans, insiste l'opérateur au carré rouge, il est primordial que les investissements afférents puissent être amortis dans les délais de la licence".
Eu égard à l'effort financier qu'ils s'apprêtent à réaliser, les opérateurs juge que le projet de l'Arcep ne leur offre pas une prévisibilité réglementaire suffisante. Le dispositif est pourtant "cohérent" avec les exigences du nouveau Code européen des communications électroniques (CECE), fait valoir le régulateur. Le texte, explique-t-il, prévoit en effet "que la durée des autorisations soit au minimum de 15 ans et que celles-ci puissent être prolongées pour une durée appropriée lorsque cela est nécessaire, notamment pour garantir la prévisibilité de la régulation sur une durée d’au moins 20 ans".
Là où le bât blesse, argumente toutefois Bouygues Telecom, c'est que l'Autorité introduit la possibilité de modifier les obligations ou d'en fixer de nouvelles à l'occasion de la prolongation de cinq ans. Une disposition qui "méconnaît gravement l'objectif de prévisibilité réglementaire", estime l'opérateur. Qui souhaite que des modifications ne puissent intervenir "que dans des cas objectivement justifiés."
A contrario, cette limitation des licences 5G à quinze ans satisfait les collectivités. "Un moindre mal du point de vue des territoires", juge en tout cas l'Avicca, qui voit ainsi s'éloigner le spectre d'un "tunnel d'exploitation" des autorisations d'utilisation des fréquences. La déconvenue des fréquences 4G, attribuées pour 20 ans, moyennant des obligations de couverture insuffisantes, a en effet laissé des traces. Et il aura fallu attendre début 2018 et l'accord New Deal pour contraindre les opérateurs à accentuer leur effort sur la 4G en contrepartie du renouvellement de leurs autorisations.
A cet égard, l'Avicca, tout comme la Banque des territoires, se félicite de l'introduction de clauses de revoyure en 2023 et 2028, même si le dispositif ne leur semble pas assez contraignant. A ces points d'étape, le Cerema aurait pour sa part préféré "une durée de licence la plus courte possible, qui prenne en compte les contraintes financières et industrielles des opérateurs". Quitte, le moment venu, à "redéfinir en profondeur" leurs obligations, l'immaturité de la technologie compliquant pour l'heure l'évaluation des performances que l'on peut attendre du réseau mobile de demain.