C’est un Patrick Chaize à moitié satisfait qui a pris la parole en ouverture du colloque de printemps de l’Avicca (Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel). Le président de l’association s’est ainsi dit rassuré par la direction prise par les pouvoirs publics sur le mobile, mais n’a pas caché son « inquiétude grandissante » s’agissant du fixe. Quitte à verser dans une « provoc’ » qui n’a pas ému outre-mesure le secrétaire d’Etat à la Cohésion des territoires. Sur les questions de financement des RIP ou de perspectives 100% FttH, Julien Denormandie s’est ainsi borné à dérouler en réponse une position désormais bien connue.
Le mobile en ordre de bataille
L’accord historique sur le mobile a de quoi satisfaire Patrick Chaize, qui ne tarit pas d’éloges sur ce new deal par lequel les opérateurs s’engagent à améliorer significativement la couverture en échange du renouvellement de leurs licences. Avec notamment la construction de 5 000 nouveaux sites par opérateur, à raison de 600 à 800 par an, dans le cadre du dispositif de couverture ciblée. Un dossier qui sera suivi par la nouvelle mission France mobile, dont la direction a été confiée à Zacharia Alahyane, issu de l’Arcep. Lequel sera chargé de suivre le processus d’identification de ces zones prioritaires – 486 sont d’ores et déjà dans les tuyaux pour cette année.
Parallèlement, les opérateurs montrent patte blanche : Michel Combot, directeur général de la Fédération française des télécoms (FFT), annonce ainsi un travail en cours avec les associations de collectivités (dont l’Avicca) pour « l’élaboration d’un protocole de coopération, véritable guide de bonnes pratiques pour garantir la mise en œuvre opérationnelle du New Deal ». Une façon de montrer que les territoires resteront étroitement associés à l’identification des besoins, répondant là à l'une des inquiétudes exprimées depuis la publication de l'accord (résumé ci-dessous).
Les collectivités vigilantes
Tout le monde semble donc avancer main dans la main pour œuvrer à la densification du réseau mobile et au déploiement de la 4G partout. Ce malgré plusieurs points de vigilance, sur la mise en œuvre du nouvel accord – l’Avicca attend ainsi que la mission France Mobile soit dotée de suffisamment de moyens, prévient Patrick Chaize, ou sur l’inscription de clauses de revoyure dans les prochaines attributions de fréquence, pour s’adapter à l’évolution des usages. Avec en ligne de mire la 5G, dont le sénateur de l’Ain regrette au passage qu’elle ne fasse pas l’objet d’un engagement de déploiement rapide dans le New Deal.
New Deal : l’accord mystère
Reste aussi une interrogation persistante. Pourquoi l’Etat se refuse-t-il toujours à rendre publics les accords noués avec les opérateurs, dont on connaît désormais les engagements, mais pas précisément ce qu’ils ont obtenu en échange ? Une opacité qui pourrait nourrir les « suppositions », glisse Patrick Chaize, en particulier concernant le coût réel de l’opération pour les finances publiques. Julien Denormandie l’a toutefois fait comprendre : sur ce point, la transparence dont il ne cesse de vanter les bienfaits s’arrête au document technique, incomplet, publié il y a quelques mois par l’Arcep.
Fixe : l’Avicca menace
Autre sujet sur lequel le secrétaire d’Etat se dit « clair » et sur lequel on peine pourtant à comprendre sa position : la perspective d’un équipement de l’ensemble du territoire en FttH. Une ambition sur laquelle le gouvernement souffle plutôt le froid ces derniers temps. Point du tout, rassure Julien Denormandie, réaffirmant l’attachement de l’exécutif à l’objectif européen de société du gigabit que « seule la technologie fibre » permet d’atteindre ». Mais sans que l’on sache si, comment, quand et avec quels moyens les territoires colmatés en montée en débit, THD Radio et satellite pourront décrocher le graal du 100 Mb/s d’ici à 2025. Le secrétaire d'Etat a beau affirmer que « beaucoup » des solutions transitoires déployées ne feront pas obstacle au déploiement FttH, les incertitudes financières et techniques sur ce point restent encore nombreuses.
On le comprend bien : ce jalon, pour le gouvernement, c’est le coup d’après. Le représentant du gouvernement ne s'est donc pas davantage livré sur les pistes pour l'après-2022 que lors des rendez-vous précédents, malgré les avertissements de Patrick Chaize. « Sans signal fort dans des délais courts de réouverture du guichet accompagné des budgets et de la volonté politique d’aller vers du 100 % FttH », a-t-il prévenu, le président de l’Avicca qu’il est recommandera à ses adhérents de « mobiliser leurs budgets exclusivement sur les technologies durables, donc sur le FttH, même au prix d’échéances plus lointaines ». Ce qui risquerait donc de faire capoter la feuille de route dressée par le président de la République l’été dernier : bon haut débit pour tous en 2020 et 100% THD en 2022.
Un positionnement périlleux de la part de l'Avicca : privilégier l’enjeu de cohésion des territoires sur l’impatience numérique impliquera sans nul doute un délicat exercice de pédagogie auprès des oubliés du débit. Le propos est volontairement provocateur. Il vise surtout à mettre l’Etat face à ses contradictions, après la suspension du guichet France THD « en catimini » en décembre dernier, explique Patrick Chaize. Pour qui le gouvernement encourage les collectivités à accélérer, mais sans leur offrir la visibilité financière nécessaire. Et met ainsi en difficulté de nombreux territoires, en particulier les premiers partis sur la fibre, qui n’ont pas bénéficié des conditions avantageuses observées dans le cadre des dernières DSP. Alors que le privé prend en charge une part très importante des dépenses sur les projets les plus récents, avec bien souvent une perspective 100% FttH sous cinq ans, d’autres initiatives plus anciennes se voient ainsi bien démunies pour boucler des phases 2 ou 3 débordant largement le jalon de 2022, fait valoir l'association.
Les AMEL ne convainquent pas
Une tension que le dispositif AMEL (Appels à manifestation d’engagements locaux) devait contribuer à soulager. Côté volume, cela risque toutefois d’être juste. Julien Denormandie a indiqué que les projets AMEL, qui devaient initialement recevoir le tampon de l’Etat cet été porteraient sur environ 1 million de locaux. Soit le bas de la fourchette espérée (1 à 3 million) par la mission France THD. Pour rappel, les projets déclarés à ce jour toutes zones confondues laissent un reliquat conséquent de 5,6 millions de lignes à construire au-delà de 2022, comme le calculait récemment le Cerema.
Outre une inquiétude sur un « premier dérapage » du calendrier, avec un délai de présentation des projets à l’Etat repoussé à fin juin, l’Avicca ne cache pas non plus son scepticisme vis-à-vis d’un dispositif certes avantageux financièrement pour les collectivités, puisque intégralement financé sur fonds privé, mais qui, en contrepartie les dépossédera des réseaux concernés. Pour la collectivité, il y a deux options, résume Patrick Chaize : « Je fais une AMEL, je ne paie rien, mais je n’ai rien, ou je fais une DSP, ça me coûte 10%, et je suis propriétaire ». Un « vrai choix politique » qui nécessite un arbitrage en fonction de la sensibilité des élus entre finances et cohésion des territoires, fait valoir le président de l'association.
Cette dernière option étant, pour de nombreuses collectivités « exsangues », un luxe qu’elles ne peuvent plus se permettre : faute de visibilité, elles s’en remettent donc à des AMEL qui risquent de ne pas répondre à l’objectif de service public, s’inquiète Ariel Turpin, délégué général de l’Avicca. Ou, pire, de se révéler contre-productives, en faisant cohabiter par exemple des NRO publics non intégralement réalisés avec des NRO privés. Le risque est celui d’un véritable « gâchis », se désole-t-il à l'avance. Pour ces territoires pionniers, qui ont consenti un « sacrifice financier beaucoup plus fort », il est « normal que l’Etat vienne à leur secours », plaide-t-il ainsi.
A l'inverse, les conditions de financement actuellement beaucoup plus favorables devraient bénéficier aux derniers arrivés. Soit 16 départements pour lesquels la procédure d'attribution est encore en cours. Relevons au passage le cas particulier de la Savoie qui, après la résiliation l'an dernier de la DSP passée avec Axione, a finalement choisi la voie de... l'AMEL pour déployer 255 000 prises à horizon 2023.
Orange et SFR en zone AMII : copies révisées ?
Pendant ce temps, le feuilleton AMII continue. Ces zones sur lesquelles Orange et SFR ont traîné à déployer, et qu'ils s’engagent désormais à fibrer intégralement plutôt en 2022 qu’en 2020, avec force « oui, mais » et lignes raccordables à la demande. Des promesses accueillies plutôt fraîchement du côté de l’Avicca, et dont la mouture finale pourrait être sensiblement différente des premiers courriers diffusés, si l’on en croit les informations distillées lors du TRIP par Sébastien Soriano, président de l’Arcep.
Au passage, l’association fait un sort aux cas de force majeure que pourraient être tentés d’invoquer les opérateurs, dans un contexte de « pénurie de fibre ». Un vocable avec lequel elle prend ses distances, préférant parler d’un « contexte tendu » sur 2018 et 2019 et d’un climat global qui « peut donner l’impression d’une pénurie ». Quelle que soit sa réalité, tranche Ariel Turpin, celle-ci « ne peut pas être assimilée à un cas de force de majeure » vis-à-vis des engagements L33-13 en zone AMII, au regard notamment du retard accumulé depuis des années par les opérateurs. Pas plus que les difficultés rencontrées sur le recrutement, ajoute l’association, pour qui ces facteurs ne sauraient constituer une parade juridique qui les soulageraient de leurs engagements. Sur ce point, le verdict est attendu dans quelques jours, l’Arcep espérant rendre son avis courant juin.
Déploiement aérien : Enedis pointé du doigt
Furent enfin évoqués à l’occasion de ce TRIP Avicca certaines embûches sur le parcours vers le 100% THD. Avec deux interventions marquantes : d’une part, celle de Dominique Leroy, directeur général des services de Seine-et-Marne Numérique, qui s’est notamment attaché à démonter le modèle de la montée en débit. Malgré les améliorations apportées par l’offre PRM Med-V6 d’Orange, le modèle reste « déficitaire » pour les collectivités, a-t-il plaidé, en raison notamment d’important coûts énergétiques restant à leur charge. Extrapolant l’expérience seine-et-marnaise à l’ensemble du territoire, Dominique Leroy les évalue à 45 millions d’euros, soit l’équivalent des financements FSN pour son seul département. Un « puits sans fond » que la prise en charge des coûts d’énergie par les FAI, et non plus par la collectivité, permettrait d’étancher, a-t-il plaidé.
Autre retour d’expérience intéressant, celui de Pascal Bourdillon, directeur de Berry Numérique, qui a fait part des difficultés rencontrées pour réaliser les déploiements FttH en aérien dans le département à dominante rurale qu’est le Cher. En cause : la problématique d’accès aux poteaux ou d’implantation de nouveaux supports. Si le processus fonctionne « plutôt bien » sur le réseau Orange, il en va autrement sur le réseau basse tension d’Enedis. Sont notamment pointés du doigt un « processus d’étude extrêmement lourd et pénalisant », le manque de prestataires qualifiés d’un bout à l’autre de la chaîne, l’hétérogénéité des modalités d’intervention ou encore des règles techniques inadaptées. Un ensemble de critiques auxquelles a pu répondre Gérard Auriol, de la direction Ouest d’Enedis, en promettant une simplification des procédures techniques et d’appui aux opérateurs, ainsi qu’une organisation interne visant à « homogénéiser son appui au déploiement du THD d’Enedis sur l’ensemble du territoire ». Le tout devant être opérationnel d’ici à octobre 2018, a-t-il assuré aux représentants de collectivités, manifestement nombreux à se retrouver dans le vécu berrichon.