Dans un contexte d’incertitude concernant le raccordement de quelque 5 à 6 millions de locaux post-2022, le gouvernement dévoilait en décembre dernier une solution pour accélérer le déploiement de la fibre dans les territoires ruraux. L’exécutif suggérait de sonder les intentions privées via la nouvelle procédure AMEL (Appel à manifestation d’engagements locaux). Présentée comme une solution complémentaire à l’initiative publique, celle-ci était susceptible de concerner « 1 à 3 millions » de locaux, indiquait au printemps Antoine Darodes, directeur de l’Agence du Numérique.
Problème : alors que le gouvernement ouvrait cette nouvelle piste, les collectivités apprenaient en parallèle la suspension du guichet FSN, auquel elles devaient puiser les financements de leurs projets de RIP. Et se voyaient par la suite systématiquement renvoyer aux AMEL lorsqu’elles demandaient la réouverture dudit guichet, au nom d’une « mobilisation intelligente » des ressources.
Nouvelle-Aquitaine : appel au Premier ministre
Cet entre-deux a eu raison de la patience de la Nouvelle-Aquitaine : dans un courrier adressé au Premier ministre mi-août, les acteurs régionaux et départementaux du déploiement appellent à dissiper le flou en sollicitant « avec fermeté la ré-ouverture du guichet Fonds pour la Société numérique ». Une donnée essentielle à l’heure où la Société publique locale Nouvelle-Aquitaine THD et ses membres tentent d’avancer sur le jalon 2 des projets départementaux, nous explique son président Mathieu Hazouard.
Sur la base des règles de financement actuelles, les besoins sont estimés à une centaine de millions d’euros pour la deuxième phase de déploiement sur le territoire couvert par la SPL. De quoi achever les déploiements d’ici à 2022, peut-être même avant, à condition de voir arriver les aides d’Etat.
« Nous sommes en train de faire les tours de table financiers », au sein desquels l’engagement financier ou non de l’Etat « change totalement la donne », poursuit-il. C’est pourquoi « il était temps pour nous d’interpeller politiquement le Premier ministre », parce qu’« il n’y a rien de pire que l’absence de réponse ». Une réponse que la SPL et les collectivités n’imaginent pas autre que positive : « On ne peut pas fixer d’un côté un objectif national de 100% THD en 2022, et de l’autre côté dire ‘on arrête le financement de l’Etat », résume Mathieu Hazouard. Un paradoxe dont s’était déjà ému l’Association de collectivités Avicca lors de son colloque TRIP de printemps.
« Vraie supercherie »
Dans ce contexte, l’alternative AMEL apparaît comme une « vraie supercherie », cingle l’élu néo-aquitain. Une nouvelle option qui, en permettant aux opérateurs privés de venir « piocher les portions de territoire lucratives », peut-on lire dans le communiqué régional, mettrait à mal l’équilibre économique d’un projet sur lequel 750 millions d’euros de deniers publics ont déjà été engagés. Et qui conduit les acteurs locaux à s’interroger : sollicité par « beaucoup de maires, beaucoup d’EPCI », Matthieu Hazouard se voit amener à faire œuvre de pédagogie auprès des élus tentés par un appel au privé. En en brandissant les aléas : abandon de la propriété du réseau, par exemple, mais aussi de la maîtrise du calendrier.
Car pour ce dernier, le recours au privé ne permettra nullement d’accélérer : « Ce dont je suis absolument convaincu », insiste-t-il, « c’est que les zones AMEL vont aller plus lentement que les zones RIP ». Mise en garde qui a globalement été entendue, même si un département, le Lot-et-Garonne, a finalement choisi de s’en remettre à l’alternative privée pour la phase 2 de son projet, précise Mathieu Hazouard. La collectivité a recueilli les propositions des opérateurs d’infrastructure, qui sont actuellement en cours d’analyse.
Bretagne : Mégalis abandonne son AMEL
En Bretagne, les analyses ont déjà été conduites, et la réponse nous a été indiquée par Mégalis : le syndicat mixte a décidé cet été d’abandonner la piste AMEL. Un appel avait été lancé au printemps dernier, afin d’explorer les intentions privées pour raccorder, entre 2019 et 2023, environ un tiers des 600 000 locaux initialement prévus post-2024. Et ainsi déterminer très rapidement le reste à faire dans la perspective des prochains appels d’offres à lancer dans le cadre du RIP.
Cinq opérateurs ont postulé, quatre ont été retenus pour étude, aucun n’a emporté la mise. Deux raisons à ce (non-)choix, nous explique Thomas Renault, directeur du projet Bretagne Très Haut Débit. D’une part, les « réponses ne se sont pas révélées satisfaisantes en termes de calendrier » : là non plus, l’AMEL n’aurait pas permis d’accélérer le raccordement des quelque 200 000 locaux concernés.
Les AMEL à côté de la plaque ?
D’autre part, les propositions des candidats n’offraient que « peu de garanties en termes de complétude », avec un taux important de raccordements à la demande. Rappelons que l’AMEL portait ici sur les déploiements de phase 3 (en bleu sur la carte), susceptibles de déséquilibrer le moins possible le contrat d’exploitation. Et a priori peu rentables pour les opérateurs, d’où le blocage sur les lignes longues.
Le tout a donc conduit Mégalis à privilégier un « projet public avec complétude », souligne Thomas Renault, pour qui il « paraît évident » que les financements FSN devront être de la partie. « Les collectivités ne comprendraient pas que l’Etat se désengage financièrement », estime-t-il lui aussi.
Pas synonymes d’accélération des déploiements, pas les bienvenus lorsqu’ils menacent de siphonner les ressources des RIP, ni quant leur rentabilité exige qu’ils délaissent une partie de la population. Les AMEL semblent décidément peu adaptés aux territoires ruraux auxquels ils étaient initialement destinés. Sans parler du dérapage du calendrier initialement établi par le gouvernement (ci-dessous) : face à l'inquiétude grandissante des collectivités, l'exécutif devra rapidement dissiper le flou sur la suite des événements.
Calendrier initial des AMEL - Conférence nationale des territoire du 14 décembre 2017