Opération Dé-STOC-age dans le Doubs. Mais pas vraiment de bonne affaire ici, si ce n'est celle consistant pour le département à se débarrasser, précisément, du mode Stoc. "Une catastrophe industrielle" qui "agresse discrètement mais sérieusement des réseaux neufs financés par fonds publics, dans l'impunité et avec la passivité coupable de toute la filière", tonnait Denis Leroux, président du syndicat mixte Doubs THD, lors du dernier colloque TRIP Avicca cet automne.
Qu'y a-t-il derrière cet acronyme tant honni ? Le mode Stoc désigne la procédure qui consiste à confier aux fournisseurs d'accès à Internet, plutôt qu'aux exploitants de réseaux, l'opération de raccordement des abonnés à la fibre. Elle représente 95% des raccordements en France, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle donne des boutons aux élus. Et pas seulement dans le Doubs.
Doubs THD pour l'exemple
En décembre dernier, une délibération du conseil syndical de Doubs THD demandait à son président d'agir pour "sauvegarder le réseau syndical". En l'autorisant notamment à "mener des expérimentations excluant tout recours au mode STOC sur des plaques FTTH à livrer à partir de début 2021". De la parole aux actes, le syndicat mixte a symboliquement lancé aujourd'hui cette expérimentation sur la commune de La-Tour-de-Sçay :
Une "décision forte" autant qu'une action de communication visant à dénoncer les méfaits de la mécanique actuelle de raccordement. Mais aussi à appeler l'Etat à intervenir sur ce sujet qui agite de plus en plus l'écosystème THD français. L'initiative ne relève pas d'un "particularisme doubiste", a ainsi insisté Denis Leroux, mais entend incarner par l'exemple un "front uni des territoires" face à une situation jugée intenable un peu partout en France. Constat que son homologue Nathalie Helmer, présidente du syndicat mixte Ardèche-Drôme Numérique, était venue appuyer pour l'occasion.
Première étape devant les caméras, le raccordement de la mairie en mode non-STOC, c'est-à-dire en "mode OI" : l'opération est réalisée directement par l'exploitant du réseau, en l'occurrence, ici Altitude Infra. Une façon de faire qui, argumentent ses défenseurs, prémunit le réseau et ses usagers contre les avanies issues d'une chaîne de sous-traitance mal maîtrisée. Celle des FAI, qui conduit à dégrader l'infrastructure, multiplier les échecs de raccordement ou les coupures d'accès, et alimenter "l'incompréhension de la population". Le tout en faisant parfois travailler, en bout de chaîne, des autoentrepreneurs "dans des conditions parfois indignes et/ou dangereuses", ajoute Doubs THD.
Les FAI veulent garder le Stoc
Lesdits fournisseurs d'accès se défendent de leur côté en pointant des errements existant aussi côté exploitants de réseaux. Et surtout en rappelant que le mode Stoc est la seule façon de répondre rapidement à la forte demande de raccordement. Du côté de Free, on admettait aujourd'hui à La-Tour-de-Sçay avoir été pris de vitesse par l'afflux de demandes, et avoir peiné à trouver les professionnels permettant d'y faire face au départ.
Sans pour autant que cela justifie de "renverser la table" aujourd'hui : les différents opérateurs présents ce matin ont réaffirmé qu'ils ne voulaient pas du mode OI. Ils comptent plutôt sur le nouvel accord entre exploitants de réseaux et fournisseurs d'accès visant à améliorer les pratiques Stoc. Si David El Fassy, président d'Altitude Infra, a annoncé ce matin une nouvelle avancée avec la signature par Orange de ce contrat "Stoc v2", les perspectives d'amélioration laissent néanmoins Denis Leroux "dubitatif".
Bombe à retardement
Face aux collectivités échaudées, les FAI n'auront en tout cas pas le droit à l'erreur. Face au gouvernement non plus : cet automne, Cédric O, secrétaire d'Etat à la Transition numérique et des communications électroniques a déjà sommé les protagonistes de trouver une solution à ce problème opérationnel. "Soit on sait le régler de manière intelligente entre gens de bonne volonté, soit l'Etat va devoir prendre des décisions plus compliquées, quitte à causer des désagréments".
Appelée à intervenir de longue date, l'Arcep a fini par lancer fin 2020 une consultation pour tenter d'avancer sur ce dossier. Mais sa nouvelle présidente, Laure de la Raudière, ne ferme pas la porte à une nouvelle donne. "Si ça ne marche pas, il faut changer", lançait-elle il y a quelques semaines lors de son audition au Sénat.
A cette occasion, la présidente de l'Autorité convenait en tout cas qu'il y avait une "action urgente" à mener sur ce dossier aux airs de bombe à retardement. Pour les collectivités, qui craignent de devoir repasser à la caisse bien plus tôt que prévu. Deux ans après la mise en exploitation, "les trois-quarts des points techniques (shelters, armoires, boîtiers de branchement clients, parties complètes de câbles de distribution) nécessitent déjà des reprises très coûteuses se chiffrant à plusieurs millions d’euros", fait valoir Doubs THD. Mais une bombe aussi côté consommateurs, alors que la fibre, de plus en plus demandée depuis 12 mois, est censée desservir au moins 80% des locaux particuliers et professionnels... dans moins de deux ans.