Les obstacles s’effacent progressivement sur le parcours qui doit permettre d’apporter le très haut débit à tous les Français. Les inquiétudes de l’année dernière ont ainsi laissé place à des messages beaucoup plus rassurants à l’occasion de l’Université d’été du THD, organisée cette semaine à Laval par le réseau Idéal Connaissances. Avec un cadre désormais posé pour améliorer sensiblement l’expérience connectée des millions de Français toujours privés d’un service Internet digne de ce nom, fixe et/ou mobile.
Au regard des objectifs gouvernementaux – 100% bon haut débit à 8 Mb/s en 2020, 100% THD (30 Mb/s) en 2022, le calendrier apparaît toutefois très serré. Notamment sur la fibre – 20 millions de locaux à raccorder en 5 ans, martèle la fédération d’Industriels InfraNum, co-organisatrice de l’événement. Pour y arriver, de nombreuses difficultés opérationnelles restent à lever.
Un cadre précisé, suffisant pour accélérer ?
Un an après sa première « rentrée universitaire » à Epernay, Julien Denormandie avait des progrès indéniables à porter à son bilan. Force est de reconnaître qu’après les turbulences de l’été 2017, le cadre du déploiement THD s’est depuis grandement précisé. Qu'il s'agisse des RIP, « stabilisés », pour reprendre l'expression du secrétaire d'Etat à la Cohésion des territoires, ou des engagements contraignants obtenus des opérateurs, qu'il s'agisse de la couverture mobile (New Deal) ou du déploiement de la fibre (zones AMII).
Ces trames mises en place, reste encore à garnir l’ouvrage. Car malgré le volontarisme affiché par le secrétaire d'Etat pour « maintenir la pression dans le tube », les interrogations subsistent sur la faisabilité des objectifs affichés : généralisation de la 4G en 2020 et Internet fixe à 8 Mb/s minimum pour tous en 2020, puis 30 Mb/s en 2022. Du côté des élus, on s’interroge notamment sur les critères d’identification des sites prioritaires pour la couverture mobile. Sur la fibre, on questionne en outre la soutenabilité d’objectifs AMII pris sur le tard. Et l’on pointe aussi des taux de complétude insatisfaisants, un dossier toujours en cours d’examen du côté du régulateur, a indiqué Martine Lombard, membre du collège de l’Arcep.
Une loi ELAN avec un grand N
Concordance heureuse des calendriers : au même moment, députés et sénateurs entérinaient les conditions de l’accélération dans le cadre du projet de la loi ELAN. Initialement minimaliste sur le sujet, la dernière mouture confère un grand N à l’ambition numérique, s’est félicité le sénateur Patrick Chaize, rapporteur pour ce volet du texte. En l’état, la loi devrait notamment permettre de réduire de moitié, à 12 mois, le délai d’implantation des pylônes, espère l’élu de l’Ain. Surtout, le N d’ELAN s’est enrichi de dispositions visant à accélérer sur le FttH (littoral, servitudes et élagages, accès aux immeubles et règlement de copro…). Sans oublier un volet sanction renforcé dans le cadre de l’article L36-11 du code des postes et télécommunications.
FAI alternatifs : un « deal » sur les accès activés
Au passage, la Commission mixte paritaire a aussi réintroduit l’obligation pour les opérateurs de réseaux de faire « droit aux demandes raisonnables d’accès activé » émanant d'autres opérateurs sur des lignes en fibre optique ayant « bénéficié de subventions publiques ». Initialement rejeté par le gouvernement, l’article est finalement ressuscité dans le cadre d’un « deal » , que nous explicite Patrick Chaize : conservation d’un modèle de co-investissement et de concurrence par les infrastructures en zone plus dense, mais concurrence par les services grâce à l'accès activé en zone RIP. Là où, estime le sénateur, les opérateurs alternatifs se révèlent être de véritables « dynamisants ».
Optimisme sur les RIP
Ces nouvelles pistes d'accélération sont venues compléter le message résolument rassurant délivré lors de l'Université, placée sous le signe de la dynamique enclenchée sur les réseaux d’initiative publique (RIP). Avec enfin une carte de France presque intégralement remplie, la quasi-totalité des projets lancés et une poignée en passe de l’être.
Surtout, de nombreux chantiers doivent désormais déboucher sur du 100% FttH en zone rurale sous quelques années seulement. A commencer par la Mayenne, département hôte de l’événement, qui doit être intégralement fibré d’ici à fin 2021.
Optimistes, les élus, mais pas béats. Conscients, d'une part, du risque de fracture numérique sur leur territoire après 2022. Et peu enclins, comme les y encourage l'exécutif, à sonder les intentions de déploiement privées sur leur zone publique via les Appels à manifestation d’engagements locaux (AMEL). Le dispositif était toujours aussi peu populaire à Laval, de nombreux élus restants réticents à laisser tout ou partie de leur zone RIP aux mains du privé en contrepartie d'une hypothétique accélération. Un scepticisme qui ne l'a pas emporté partout, a tenu à nuancer Julien Denormandie : selon les décomptes qui lui ont été remontés cet été, ce sont bien finalement un million de lignes FttH qui pourraient se déployer sous le régime des AMEL.
Des élus, conscients, aussi, que le reste à faire d'ici à 2022 est considérable : 1,5 million de locaux étaient raccordables en zone RIP au 30 juin dernier, selon l'Arcep, sur un objectif à 4 ans avoisinant les 9,5 millions. Un défi avant tout humain, comme l'ont rappelé les représentants d'InfraNum tout au long de l'événement.
L’emploi, grande inconnue de l’équation THD
Si l'horizon légal et réglementaire se dégage, plusieurs points opérationnels restent à régler pour tenir les délais. Les identifier et les remonter à l'exécutif : voilà justement l’objectif de cette « réunion de chantier du plus grand chantier de France », résume Laurent Pélisson, président du cabinet de conseil CapHornier, également co-organisateur de l’Université. On a, entre autres, forcément reparlé des deux pénuries menaçant le déploiement. Si l’ambiance semble s’être largement détendue sur la question de la disponibilité de la fibre, l’inquiétude reste vive sur la main d’œuvre. 16 000 emplois sont à pourvoir d’ici à 2022 pour accompagner l’accélération massive attendue sur le FttH, a ainsi martelé InfraNum pendant deux jours.
« Tout est là : le cadre est là, les moyens d’accélérer sont là, les projets sont partis… L’enjeu principal, ce sont les ressources humaines », résumait son président Etienne Dugas (ci-contre) en clôture de l’Université. Pour pourvoir aux besoins à tous les échelons : déploiement sur le terrain, mais aussi dans les bureaux d’étude, en forte tension à un moment où la quasi-totalité des projets de territoire sont lancés ou en passe de l’être. Un goulot d'étranglement supplémentaire, soulignent les acteurs de l'écosystème, d'autant que les derniers projets annoncés affichent les délais les plus ambitieux.
Pour remédier à ces tensions, le président d'InfraNum a plaidé auprès du représentant de l'exécutif pour l’installation d’un Comité stratégique de filière « infrastructures numériques ». Ce afin de disposer de plus de moyens pour « travailler dans la communication et la formation » et recruter ces milliers de profils manquants. Un appel qu'a semblé entendre Julien Denormandie, même si ce dernier préfère actionner dans un premier temps d'autres leviers dans le cadre de la politique d'insertion du gouvernement. Là aussi, le représentant du gouvernement a promis d'initier rapidement une réflexion avec InfraNum.
L'emploi, nouvel angle prioritaire pour tenir les délais du THD pour tous, dont le secrétaire d'Etat venait tout juste de rappeler les enjeux : après des années de déception, si les promesses de 2020 et 2022 faites au Français ne sont pas tenues, a admis Julien Denormandie, « le lendemain de ce pays dans les prochaines élections ne sera pas forcément des plus beaux ».